Actualités - jeudi, 28 septembre 2017

H comme histoire de la coutellerie

Trente ans de production de couteaux laguiole en Aubrac, une goutte d’eau dans l’histoire de la coutellerie dans laquelle la Forge de Laguiole vous propose de vous plonger…

Une histoire d’Hommes ….

« L’homme fabrique des outils concrets et des symboles, les uns et les autres relevant du même processus ou plutôt recourant dans le cerveau au même équipement fondamental » publie l’ethnologue André Leroi-Gourhan in Le geste et la Parole.

A cet égard, l’histoire du couteau est particulièrement significative, son apparition marquant un moment particulier de l’histoire de « l’hominisation », soit le passage du bloc, rocher, palet, galet, instruments de circonstance à l’outil, soit l’éclat fabriqué dans un objectif et nous sommes en -10 000/ -5 000 av JC.

Avec le Néolithique (- 5 000 à – 2 500), c’est le développement et le primo-avènement de la métallurgie, dans le même temps grâce à l’élevage des bovidés, la quantité d’os permet de supplanter le bois et les bois de cervidés dans la fabrication des manches de couteaux.

L’Age des Métaux débute en Europe qui découvre toutes les techniques métallurgiques. La France occupe une place à part, le Sud-Ouest (plus de 200 sites recensés dans le seul Périgord) et le Sud. La richesse de ses forêts (charbon de bois), de son minerai et de son réseau hydrographique, explique largement cette situation pivot. Bientôt, la caste des forgerons supplante celle des chasseurs.

Des couteaux pliants

C’est aux IIe et IIIe siècles après J.-C., que naissent les couteaux pliants : utilitaires au début, ornementés et décoratifs ensuite.

Sur le plan technique et technologique, le Moyen-Âge connait une nette évolution, notamment avec le martinet.  Equipé d’un système à came (cylindre en rotation) entraîné par la force du courant, il frappe sans relâche sur une des enclumes permettant : l’ETIRAGE des barres de métal, le PLATINAGE qui fournit les tôles, l’ECROUISSAGE (à froid) ou le CORROYAGE (à chaud), qui assure homogénéité et durcissement du métal.

Enfin l’acier de DAMAS, apparaît en superposant un acier très peu carboné avec un autre fortement carboné. Parallèlement, la technique du DAMASQUINAGE se répand, reproduisant les dessins moirés du véritable Damas, par ciselure puis par incrustation d’un autre métal. La lame damas était née…

ivoire de mammouth abeille ciselee main - H comme histoire de la coutellerie

La fin du Moyen-Âge marque l’apogée de la période décorative. Outre l’insertion de matières précieuses, elle voit l’enluminure des manches. La période est aussi marquée par une évolution phare : la fabrication des premiers couteaux de table.

… aux couteaux de table

Au XIIIe siècle, ce couteau se diversifie à table avec l’apparition de quatre types de couteaux : les  » cousteaux à trancher  » possédaient une lame très large permettant de présenter la tranche de viande qu’ils venaient de couper ; le  » parepain  » servait à couper puis égaliser la tranche de pain faisant office d’assiette ; le  » petit coustel  » permettait à chacun de couper en morceaux plus petits, de désosser et de dénerver. Enfin, au cours des voyages, un fort coutelas-machette, appelé  » taillebois  » était nécessaire pour modifier ou réaliser sur place des tranchoirs, s’ils n’avaient pas été emportés dans les bagages.

Les femmes portent un petit couteau à lame fixe à la ceinture, suspendu par un cordon ou une chaînette métallique, en compagnie de leur aiguiller, de forces (ciseaux) et d’une bourse. Les religieuses faisaient de même, avec un couteau porté à la taille dans une ceinture de cuir.

La profession de coutelier connaît un certain succès et quelques premières règles communes : le poinçon de fabrique devient obligatoire avec un décret pris le 20 décembre 1275.

En 1261, Etienne Boileau Prévost de Paris a procédé au recensement des métiers, des usages et des corporations : il ressort de son  » livre des métiers  » qu’une centaine de couteliers exercent dans la capitale. Boileau organisa alors la séparation d’activités proches en deux professions principales distinctes : les Fèvres Couteliers et les Couteliers Faiseurs de Manches.  La durée minimum de formation est fixée à 8 années. Le terme de Coutelier désigne uniquement les marchands de couteaux.

Aux XIVe et XVe siècles, le couteau de table bénéficie toujours d’attentions soutenues et ses formes et couleurs se plient même parfois au calendrier religieux : c’est ainsi que pour quelques centaines d’années seront produits des « couteaux de carême » à manche d’ébène noir, des « couteaux de Pâques « « blancs en ivoire » mais aussi les célèbres « couteaux de Pentecôte » dont le manche est fait d’un damier de 2 couleurs, dans un remarquable travail de tabletterie. La réalisation de manches émaillés date de la même période. Le XVe siècle n’apporte pas de changements importants si ce n’est l’ancrage de l’habitude de porter un couteau sur soi, dans une gaine de ceinture très décorée. A la fin du siècle, s’amorce parfois son remplacement par un couteau pliant, porté dans les poches équipant de plus en plus souvent les vêtements mais il s’agit encore d’une exception. En revanche, c’est le début d’une concurrence européenne de longue haleine : la ville anglaise de Sheffield dont l’activité métallurgique remonte au XIe , acquiert une solide réputation dépassant ses frontières.

couteau laguiole traditionnel

Coutellerie, métier d’art et innovations

La Renaissance puis le XVIIe va faire basculer la coutellerie vers les métiers d’art.  Sous le règne de Louis XIII, des services sont réalisées dans des matériaux précieux par de véritables artistes, on les conserve dans de luxueux coffrets. La profession s’organise et se réglemente.

Le siècle des Lumières sera pour la coutellerie celui de l’invention avec une innovation majeure : l’acier fondue en 1788 : technique probablement expérimentée en Angleterre. Gage de qualité, cet acier sera remplacé par l’acier inoxydable.

Le XIXest le siècle de la coutellerie, au sens où il concentre bonds technologiques, nouvelles techniques, définition de formes et de code et démocratisation. L’introduction de la machine à vapeur modifie notablement les modes de fabrication en généralisant l’utilisation du marteau-pilon. A côté des techniques ancestrales de l’emporte-pièce, se développent les forges industrielles. Les aciers se modifient avec le début des aciers alliés, les formes et les types de couverts se standardisent. Des matériaux de synthèse voient le jour comme la parkésine en 1840, le celluloïd en 1870 ou la galalithe en 1899 sans oublier la bakélite un peu plus tard en 1909. C’est véritablement l’apparition des pliants, les crans forcés, les multifonctions, Les tire-bouchon et les premiers Laguiole qui voient le jour au cœur du village éponyme.  Enfin l’activité commerciale s’organise et monte ne puissance avec notamment, l’apparition de revendeurs ou la participation aux foires. Les formes aussi se fixent avec l’émergence de familles de couteaux régionaux aux formes facilement reconnaissables. Avec sa lame yatagan, sa mouche, son manche galbé et ses ressorts guillochés ; son ancêtre, le capuchadou, le Laguiole est de ceux-ci.

Le XXe siècle s’ouvre pour la coutellerie sur l’introduction de l’inox inventé par Harry Brearley, suivi pour les manches de la résine, de la fibre de carbone. C’est également le grand moment du retour aux sources avec un vif  engouement pour les modèles de collection.

Un Caucasien très gascon, le couteau d’Alexandre Dumas…

couteau d'Alexandre DumasIl a été acquis pour 5 600 € auprès de l’étude Pierre Bergé et Associés.

Rapporté par l’auteur de Trois Mousquetaires de son voyage en Russie caucasienne, il s’agit d’une pièce de collection avec lame d’acier et ornementation dorée près du manche, bague en métal damasquiné, manche de corne, fourreau de cuir noir sur bois avec embouts métalliques (quelques manques et réparations au cuir du fourreau).

Ce couteau de collection a été offert par l’homme de lettre à son ami, le cuisinier Vuillemot.  Il porte, gravé en noir sur le manche de corne, les initiales AD enlacées. Sur la lame, Dumas a fait graver en lettres italiques l’inscription : Alexandre Dumas à son ami Vuillemot.

C’est à Tiflis (actuelle Tbilissi en Géorgie), lors de son voyage en Russie et dans le Caucase en 1858-1859, que Dumas acquiert ce couteau. Il raconte : « À Tiflis, je marchandais un poignard à la boutique d’un armurier. Le prince Eristof passe. Je ne le connaissais pas, il ne m’avait jamais vu. On lui dit qui je suis. Alors, s’approchant de moi et s’adressant à mon jeune interprète russe : « Dites à M. Dumas de ne pas acheter à ces gens-là ; ils le voleront et lui donneront de mauvaise marchandise. » Je remerciai le prince Eristof de son conseil et je continuai mon chemin en jetant un regard sur le poignard qu’il portait à sa ceinture. En rentrant chez moi, j’y trouvai la carte et le poignard du prince Eristof. Le poignard valait quatre-vingts roubles, la carte n’a pas de prix » Le Caucase, chap. xxxiv). Son compagnon de voyage, le peintre Jean-Pierre Moynet, a évoqué leurs courses dans le bazar de Tiflis et les boutiques des armuriers « qui étalent des quantités de lames, de schaskas ou de kangiars, des pistolets et des fusils ornés d’argent avec des damasquinures brunies d’un travail merveilleux ». Dumas a offert ce couteau à son ami le cuisinier Denis Joseph Vuillemot (1811-1876), qu’il avait connu à l’Hôtel de la Cloche et de la Bouteille à Compiègne et qui lui communiqua nombre de recettes pour le Grand Dictionnaire de cuisine (1872). Dans ce livre, il consacre un article louangeur à Vuillemot et évoque le don du couteau à l’occasion d’un extraordinaire banquet, Dumas parle d’une ovation. « Vers 1863, à mon retour de Tiflis, je reçus la visite de Vuillemot qui m’informa qu’une ovation m’était faite par mes amis, mon fils en tête, sous forme d’un banquet. Le banquet eut lieu au Restaurant de France, place de la Madeleine, que venait de prendre Vuillemot. Le repas fut tel, que, pour témoigner ma gratitude j’offris à mon hôte un couteau acheté par moi à Tiflis, qui portait gravé sur la lame d’acier avec ornementation dorée près du manche, bague en métal damasquiné, manche de corne, fourreau de cuir noir sur bois avec embouts métalliques (quelques manques et réparations au cuir du fourreau), la lame : Alexandre Dumas à son ami Vuillemot. »

 

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